« Décrocheurs » … « Absentéistes » … « Peu courageux » … « En roue libre » … Depuis quelques jours une campagne de prof bashing est menée dans les médias. Orchestrée par le ministère, très éloignée de la réalité vécue par les personnels de l’Education Nationale depuis trois mois… Elle ne vise qu’à faire diversion.
Comment dissimuler le fait qu’en l’absence de personnels territoriaux supplémentaires pour assurer le nettoyage plusieurs fois par jour des écoles et établissements, qu’en l’absence de suffisamment de locaux pour accueillir tous les élèves en petits groupes chaque jour et qu’en l’absence d’enseignants supplémentaires pour s’occuper de classes dont les effectifs ne doivent plus dépasser quinze élèves, quoi qu’en dise le ministre, il est impossible pour « toutes les familles qui le souhaitent [de] pouvoir scolariser leur enfant » ??? En racontant que c’est de la faute des profs, qui ne veulent pas s’occuper des élèves… Lamentable !

Communiqué du SNUipp-FSU du 10 juin 2020 : « Ils sont bien là »

Quand dans la même phrase le ministre de l’Éducation nationale dit « toutes les familles qui le souhaitent devront pouvoir scolariser leur enfant même partiellement » et « le protocole est inchangé », on assigne à l’école un objectif intenable et, par ricochet, on jette l’opprobre sur les enseignants. En tenant compte du protocole, dont les 4M2 par enfant, l’exercice est en effet impossible et pourrait au mieux déboucher sur un accueil partiel de davantage d’enfants ce qui ne correspond pas à la demande légitime des familles. Le ministère sait très bien que l’école ne peut pas tenir cette promesse mais dégage ainsi sa responsabilité et entretient le doute sur la présence des enseignants. De même, en faisant rêver sur un accueil périscolaire parallèle qui ne peut être organisé partout, il se dédouane sur les municipalités.
 
Les enseignantes et les enseignants des écoles sont là. Ils l’ont été pour accueillir les enfants de soignants sans masques et sans gel pendant de longues semaines. Ils l’ont été pour l’enseignement à distance où ils ont dû improviser à la hâte sans matériel professionnel et sans formation, maintenant activités scolaires et lien précieux avec leurs élèves. Ils ont été là à la reprise dès que l’école a ouvert pour assurer la scolarisation en présentiel mais aussi en distanciel. Nombre d’entre eux effectuent une double journée entre élèves présents et élèves à distance. Des enseignants ont même été désignés par les inspecteurs pour se consacrer uniquement à l’enseignement à distance car seule une minorité d’élèves peut être accueillie dans les écoles.
 
Par ailleurs la stratégie ministérielle du volontariat des familles qui tourne le dos à l’école de tous et toutes, freine le retour des élèves ayant le plus besoin d’école et est un facteur de creusement des inégalités.
 
Une enquête du SNUipp-FSU indique que moins de 10% des personnels enseignants sont concernés par des problèmes de santé ou de vulnérabilité de leur entourage, et ne peuvent aujourd’hui reprendre la classe en présentiel. Bien loin donc, des 40% qui seraient soi-disant « dans la nature ».
 
Comme tous les salariés, les enseignants doivent rendre des comptes à leur hiérarchie qui sait qu’ils travaillent et témoigne d’ailleurs de la qualité de leur engagement pour faire classe, en présentiel comme en distanciel, dans les conditions imposées par le protocole sanitaire. Ils sont bien là et une fois de plus ils tiennent le système éducatif à bout de bras tandis que le ministère censé les soutenir entretient le flou sur des chiffres fantaisistes, une manière de déplacer le projecteur et de les rendre responsables d’une situation particulièrement mal gérée.

Communiqué du SNES-FSU du 11 juin 2020 : « Prof bashing – Indigne et irresponsable »

Depuis quelques jours, plusieurs médias se plaisent à relayer des propos scandaleux sur les professeurs : « où sont les profs », « les profs abandonnent les élèves », « enseignants en roue libre », « profs décrocheurs », la liste est très, trop longue.

À la lecture de ces qualificatifs, la colère et l’indignation des personnels sont grandes.

Pendant le confinement, quand le ministre de l’Éducation nationale se perdait en annonces contradictoires, semant le trouble dans la communauté éducative, les professeurs continuaient d’inventer des solutions pour faire cours à distance, pour contacter les familles par tous les moyens possibles…en un mot de faire vivre le service public d’éducation. Seuls. Avec leurs moyens. Parce que la communauté éducative, confinement ou pas, n’a qu’un seul objectif : la réussite de tous les élèves.

Aujourd’hui, dans les établissements ou à distance, les professeurs poursuivent, coûte que coûte, leur travail avec les élèves dans cette fin d’année si étrange. C’est sans doute plus discret qu’une déclaration ministérielle, qu’une pseudo enquête dans un JT de 20h ou qu’une déclaration fracassante dans un talk show. Mais sans aucun doute, c’est beaucoup plus efficace pour nos élèves.

Nous sortons à peine d’une crise exceptionnelle. Elle impose des réponses à la hauteur des enjeux. Ce n’est pas en s’adonnant à la pratique si facile car si simple du dénigrement que l’on résoudra les questions d’inégalités ou de réussite de tous les élèves. Le manque de courage est du côté de ceux qui diffament des milliers d’agents de l’Éducation nationale.

L’Éducation sera une des clés du monde d’après. Il ne se construira pas sans les personnels de l’Éducation nationale. En laissant prospérer ce dénigrement systématique d’une profession qui a été au rendez-vous de la crise, le Ministre joue un jeu dangereux. Le SNES-FSU exige qu’il s’exprime publiquement pour dénoncer cette campagne calomnieuse.


Déclaration commune au CSE du 11 juin 2020 SNES-FSU, SNUIpp-FSU, SNUEP-FSU, SNEP-FSU, FSU, SE-UNSA, SNALC, SGEN-CFDT, FEP-CFDT, Sud éducation, CGT educ’action, SNFOLC

Certains médias sont actuellement lancés dans une campagne de dénigrement des professeurs, de leur supposé manque de travail durant le confinement, de leur supposée réticence à reprendre le chemin des écoles et des établissements.
Les organisations membres du CSE s’indignent de ces discours mal informés, stigmatisant l’ensemble d’une profession. Le service public d’éducation a tenu pendant cette période difficile de par l’investissement des personnels, en dépit des nombreuses difficultés auxquelles ils ont été confrontés. Les facteurs limitant la reprise sont avant tout d’ordre médical et matériel, liés à l’application des consignes et du protocole sanitaires.
Les organisations du CSE demandent au ministre de s’exprimer publiquement pour dénoncer cette campagne calomnieuse et soutenir les personnels de son ministère.


Profs – du journalisme décrocheur :

Analyse par Daniel Schneidermann de la campagne de ProfBashing menée dans les médias depuis quelques jours

Un bonnet d’âne pour les profs. Près de 40 000 d’entre eux auraient « décroché » pendant le confinement. C’est France 2 qui le révèle, dont un journaliste, Julien Nény, a mené une « longue enquête » sur ce « sujet tabou ».  Évanouis les profs. Disparus. Volatilisés. Ses sources ? Le témoignage d’une famille (anonyme « pour ne pas nuire à la scolarité de leur fille », mais dont la maman est « infirmière à l’hôpital »), qui « a décidé de briser un tabou », dont deux profs ont ainsi « décroché ». Mais ce n’est pas tout. Julien Nény a aussi recueilli « des dizaines de témoignages de parents, d’élèves et de proviseurs », y compris « sur les réseaux sociaux ». Il a eu connaissance de « la lettre de parents d’élèves à un recteur d’académie« . Au total, « selon nos informations confirmées par le ministère de l’Éducation, 4 à 5% des enseignants dans le public n’ont pas travaillé. Pour autant à ce jour, aucun prof décrocheur n’a été sanctionné ». Que fait la police ?

Les coupables ? Leurs syndicats ? On ne le verra pas, on ne sait même pas si France 2 a tenté de les contacter – sinon un syndicat de l’enseignement privé.  Sans doute auraient-ils évoqué le matériel pédagogique hors d’âge fourni par le ministère (voir notre enquête), les nécessités du bricolage technologique, et les préconisations sanitaires de cette rentrée au forceps et en trompe-l’œil, qui ont apparenté dans beaucoup d’établissements cette rentrée à une garderie.

Ce ne pourrait être qu’un reportage télécommandé par un ministre dont le nom commence par Blan et finit par Quer, un de plus. Mais là où la chose prend une autre dimension, c’est que dans les derniers jours, plusieurs médias et éditorialistes ont brodé ensemble sur le même thème, sans aucune source repérable. Significativement, la campagne a été lancée par la feuille patronale L’Opinion, le journal de Nicolas Beytout, spécialisée dans les « ménages d’entreprise ».

« Où sont les profs ? » se demande avec angoisse le journal  le 7 juin. Heureusement,« la fin de la récré a été sifflée en fin de semaine dernière par Jean-Michel Blanquer. Des consignes de fermeté ont été passées aux recteurs (…) . Fini la « bienveillance » et la « tolérance » pour les enseignants aux abonnés absents. Ils doivent désormais avoir une bonne raison de rester à la maison et être en mesure de le prouver. De quoi secouer un peu la moitié d’entre eux qui, encore aujourd’hui, n’a pas repris le chemin de l’école et dont une part non négligeable serait à ranger dans la catégorie des tire-au-flanc ». Sans crainte de briser le « tabou », cette campagne de L’Opinion est reprise par plusieurs médias, dont par exemple BFM.

La campagne parvient même jusqu’aux oreilles de Dominique Seux, directeur des Échos (LVMH) citant sur France Inter « un ministre en première ligne, en privé » : « Si les salariés de la grande distribution avaient été aussi courageux que l’Éducation nationale, les Français n’auraient rien eu à manger. C’est peu aimable et sans doute injuste, mais cela montre que c’est le sujet aujourd’hui le plus important ».

Moralité ? Il est tout à fait possible (je n’en sais rien, n’ayant pas enquêté) que 5% des profs aient « décroché », perdus dans la débrouille technologique. Comme il est tout à fait possible (je n’ai pas davantage enquêté) que 5% des journalistes de France 2 soient des tire-au-flanc, qui font passer le relais de la parole du ministère pour une « longue enquête ».  Laquelle « longue enquête » aurait pu rappeler que 5% est le taux d’absentéisme moyen en France, profs ou pas profs, avec ou sans pandémie. Des journalistes décrocheurs, en quelque sorte.